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« Un gouffre sans fin » : rembourser un prêt hypothécaire pour le reste de sa vie

Environ 20 % des prêts hypothécaires des banques TD, BMO et CIBC sont en situation d'amortissement négatif.

Une clé attachée à un porte-clés en forme de maison déposée sur une calculatrice.

Une hypothèque de 400 000 $ à taux variable sur 25 ans qui coûtait 1600 $ en janvier 2022; pourrait s’élever à 2800 $ en juillet.

Photo : iStock / Evkaz

Face à la hausse fulgurante des taux d’intérêt en un an et demi, bien des emprunteurs ne remboursent plus aucun capital sur leur prêt hypothécaire, et ne couvrent même pas tous leurs intérêts, ce qui signifie que leur dette se creuse.

C’est le cas d’environ un prêt hypothécaire sur cinq au sein de la Canadian Imperial Bank of Commerce (CIBC) et des banques de Montréal (BMO) et Toronto-Dominion (TD). Plus de 128 milliards de dollars en prêts résidentiels offerts par ces trois institutions financières sont en situation d’amortissement négatif.

Qu’est-ce qu’un amortissement négatif?

Si vous avez un prêt hypothécaire à taux variable avec un montant fixe à rembourser chaque mois et que ce paiement mensuel ne couvre plus l’entièreté des intérêts, vous êtes désormais en situation d’amortissement négatif. Règle générale, votre banque ajoutera les intérêts impayés au solde de votre hypothèque, ce qui fera augmenter votre dette de mois en mois.

Michael Girard-Courty craint qu’une autre hausse du taux directeur le pousse dans cette situation. Le résident de Joliette, au nord-est de Montréal, détient un prêt hypothécaire à taux variable chez CIBC pour son duplex.

Depuis le début des hausses de taux, comme son paiement mensuel est fixe, la proportion allouée aux intérêts a gonflé. Le mois dernier, il a remboursé seulement 23 $ en capital, alors qu’il devait payer plus de 1133 $ en intérêts.

Sa période d’amortissement – le temps qu’il lui faut pour rembourser son hypothèque au complet – est passée de 25 ans à plus de 47 ans.

C'est comme un gouffre sans fin.

Une citation de Michael Girard-Courty, détenteur d’un prêt hypothécaire à taux variable

Avoir possiblement à m'endetter encore plus avec l'amortissement négatif, oui, ça m'inquiète. Ça crée un stress financier, affirme le Québécois.

Michael Girard-Courty devant une rue résidentielle.

Depuis novembre 2022, Michael Girard-Courty est propriétaire d'un duplex à Joliette, au Québec. Ces derniers mois, ses versements hypothécaires couvrent presque seulement les intérêts.

Photo : Radio-Canada / Emiliano Bazan Montanez

Une situation très alarmante, selon des experts

Les banques TD, BMO et CIBC ont rapporté au troisième trimestre des prêts en situation d’amortissement négatif totalisant près de 130 milliards de dollars. Cela représente environ 20 % de tous les prêts résidentiels qu’elles ont accordés.

C'est une situation très alarmante. J'espère qu'il y aura un cadre qui pourrait être mis en place pour faire en sorte qu'on évite des situations pareilles, affirme Patrick Betu, courtier chez Alliance Hypothécaire, à Ottawa.

Les trois institutions financières proposent à leurs clients de renouveler leur hypothèque ou d'augmenter leurs versements mensuels, ce qui est difficile pour certains emprunteurs, indique le courtier hypothécaire.

Il y en a qui vont sûrement être poussés à vendre leur maison. D'autres qui vont devoir trouver d'autres solutions pour régler ce problème-là.

Une citation de Patrick Betu, courtier chez Alliance Hypothécaire, à Ottawa
Le courtier hypothécaire Patrick Betu, assis à son bureau.

Patrick Betu est courtier chez Alliance Hypothécaire à Ottawa.

Photo : Radio-Canada / Maxim Saavedra-Ducharme

Le surintendant des institutions financières du Canada, Peter Routledge, souligne que bien des clients découvrent qu’ils ont basculé en situation d’amortissement négatif en recevant leur relevé bancaire.

Mais il n’existe pas d’obligation contractuelle de faire quoi que ce soit, jusqu’à ce qu’ils décident de renouveler leur hypothèque, explique le chien de garde des banques. Le risque, à ce moment-là, c’est de se retrouver avec un taux d’intérêt bien plus élevé parce que leur période d’amortissement diminue mais leur solde reste sensiblement le même.

Surmonter cet obstacle peut être perturbateur tant pour l'emprunteur que pour l'institution, affirme M. Routledge.

Des banques « à l'aise » avec la situation

La Banque TD nous répond par courriel qu’elle demeure très à l’aise avec la qualité du crédit au sein de son portefeuille. Ceux qui ont dépassé le taux critique peuvent renouveler leur prêt hypothécaire en optant pour un taux fixe ou augmenter le montant de leurs versements.

La TD ajoute par ailleurs que la proportion de ses prêts hypothécaires dont la période d’amortissement est de plus de 35 ans a baissé au dernier trimestre, même si les taux d'intérêt ont augmenté durant l’été.

La Banque de Montréal, pour sa part, dit tenir ses clients informés avant qu’un seuil de déclenchement ne soit atteint. Si un client s’approche d’un seuil de déclenchement, nous travaillons avec lui pour déterminer les étapes suivantes appropriées afin de trouver la solution qui convient à sa situation personnelle, explique une porte-parole, dans une déclaration envoyée par courriel.

La BMO affirme que ses pratiques sont conformes aux normes internationales d’information financières ainsi qu’à celles des autorités réglementaires des marchés financiers et des banques.

Qu’est-ce qu’un seuil de déclenchement?

Le seuil de déclenchement ou taux critique survient lorsque votre paiement mensuel ne couvre plus les intérêts. Autrement dit, c’est le point où l’amortissement de votre prêt hypothécaire devient négatif et que le solde dû devient supérieur au montant initial emprunté.

Michael Girard-Courty, de son côté, s'étonne que son institution financière – la Banque CIBC – ne lui ait pas encore proposé de solutions. La banque ne m'a pas contacté, donc je dirais qu'ils ne sont pas proactifs là-dessus, lance le résident de Joliette.

La CIBC dit toutefois communiquer de façon proactive avec ses clients qui se rapprochent d’un seuil de déclenchement. La banque indique que près de 8000 d'entre eux ont choisi d'augmenter leurs versements mensuels et que près de 1000 clients ont effectué des paiements forfaitaires pour se retirer de cette situation d'amortissement négatif.

Les prêts hypothécaires à taux variable représentent un tiers de notre portefeuille de prêts hypothécaires, et leur qualité de crédit et leur rendement restent solides.

Une citation de Frank Guse, chef de la gestion du risque, Banque CIBC

Dans l’ensemble, les défauts de paiement à un stade avancé demeurent faibles, surtout par rapport aux taux pré-pandémiques, a déclaré Frank Guse, chef de la gestion du risque à la Banque CIBC, lors d'une téléconférence avec des analystes.

Photo d'une enseigne de CIBC

Environ 19 % des prêts hypothécaires à la Banque CIBC sont en situation d'amortissement négatif. Une dette totale de près de 50 milliards de dollars.

Photo : La Presse canadienne / Nathan Denette

Pas d’amortissement négatif à la RBC

La Banque Royale (RBC), de son côté, ne permet pas les amortissements négatifs, mais près du quart (24 %) de ses prêts hypothécaires au troisième trimestre avaient une période d'amortissement de plus de 30 ans.

La situation de chaque client est unique. Dans certains cas, il peut être logique pour un client d’augmenter ses versements périodiques, alors que dans d’autres, une prolongation de l’amortissement convient mieux, explique la RBC dans une déclaration envoyée par courriel.

La Banque Royale s’attend à ce que cette proportion continue de diminuer alors que plus de clients renouvellent leurs hypothèques, mais avoue que l’évolution des taux d’intérêt reste hors de son contrôle. D’autres augmentations de la Banque du Canada continueraient d’avoir une incidence sur les prêts hypothécaires à taux variable, précise la RBC.

Selon le chien de garde du secteur bancaire canadien, des prêts hypothécaires à taux variable et à paiements fixes – totalisant plus de 250 milliards de dollars – ont vu leur période d'amortissement prolongée au-delà de 35 ans.

Une feuille indiquant 84 ans et 3 mois et un taux de 5,59 %

Selon Peter Routledge des prêts hypothécaires à taux variable et à paiements fixes totalisant plus de 250 milliards de dollars ont vu leur période d'amortissement prolongée au-delà de 35 ans.

Photo : Radio-Canada

Les institutions financières et les emprunteurs feraient mieux d'éviter ce type de prêt, recommande le surintendant Peter Routledge. Il soutient cependant qu’il s’agit d’une petite fraction de l’ensemble des prêts hypothécaires résidentiels au pays, une dette qui se chiffre à plus de 2100 milliards de dollars.

C’est pas rien, mais ce n’est pas énorme non plus. C’est gérable.

Une citation de Peter Routledge, surintendant des institutions financières

Le Bureau du surintendant des institutions financières souhaite mieux encadrer ces prêts hypothécaires. Il a mené des consultations et compte publier de nouvelles lignes directrices à ce sujet plus tard ce mois-ci.

On évalue comment on peut s’attaquer au problème et bonifier la surveillance réglementaire pour rendre ce produit moins courant, affirme M. Routledge.

Le surintendant des institutions financières, Peter Routledge, lors d'une allocution au sommet du Global Risk Institute, à Toronto, le 26 septembre 2023.

Le surintendant des institutions financières, Peter Routledge, lors d'une allocution au sommet du Global Risk Institute à Toronto, le 26 septembre dernier.

Photo : Radio-Canada / Philippe de Montigny

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