AnalyseLes libéraux craignent un retour de Trump mais y voient aussi une occasion à saisir
Donald Trump et Justin Trudeau avant une réunion de l'OTAN au Royaume-Uni, en décembre 2019. Les libéraux tentent de faire valoir qu'ils sont les mieux placés pour tenir tête à M. Trump s'il devait reprendre le pouvoir. (Photo d'archives)
Photo : The Associated Press / Frank Augstein
Même si la perspective de voir Donald Trump reprendre les clés de la Maison-Blanche inquiète profondément les libéraux de Justin Trudeau, ils y perçoivent également une occasion de se démarquer en faisant valoir qu’ils sont les mieux placés pour lui tenir tête. Agiter le spectre du retour de M. Trump au pouvoir pourrait toutefois s’avérer une arme très délicate à manipuler.
Lorsqu’ils constatent l’avance de Donald Trump dans les primaires républicaines, les ministres du Cabinet de Justin Trudeau ont probablement l’impression de revivre un vieux cauchemar. C’est que, pour le gouvernement libéral, les risques découlant d’une réélection de Donald Trump à Washington sont nombreux.
Sur le plan économique, son apologie du protectionnisme met en péril la relation de proximité qui s’est tissée entre le Canada et les États-Unis depuis la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), en 1989.
Donald Trump ne se contente plus de menacer de déchirer l’ALENA, remplacé par l’ACEUM pendant son mandat présidentiel, il promet carrément d’imposer des tarifs douaniers de 10 % pour tous les produits importés dans son pays. La mesure serait dévastatrice pour l’économie canadienne, alors que près des deux tiers de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis.
Sur le plan politique, les attaques de Donald Trump contre les Nations unies et l’OTAN, sa complaisance envers les dirigeants de régimes autoritaires et son désintérêt pour la guerre en Ukraine menacent les fondements même de l’ordre mondial que l’on connaît depuis la Deuxième Guerre mondiale.
On confie en coulisses craindre l’effet déstabilisateur qu'une victoire de Donald Trump aurait sur l’état de la démocratie dans son pays, mais aussi dans d’autres régions du monde.
À la retraite du Cabinet, les ministres se sont engagés à mettre toute la gomme pour se préparer aux élections présidentielles de novembre, peu importe qui sera choisi par le peuple américain. Justin Trudeau a ainsi mis sur pied une nouvelle « Équipe Canada », un groupe de travail à l’image de celui créé au moment de la renégociation de l’ALENA.
L’ambassadrice du Canada aux États-Unis, Kirsten Hillman, des ministres, des dirigeants d’entreprises, de syndicats et d’universités, de même que des élus de différents ordres de gouvernement auront le mandat de resserrer les liens avec les États-Unis.
En point de presse, Justin Trudeau a concédé que, peu importe qui est au pouvoir à Washington, les relations entre les présidents américains et les premiers ministres canadiens ne sont jamais faciles. C'est toujours une relation complexe où les intérêts des Américains prennent beaucoup de place dans les discussions
, a-t-il noté.
À demi-mot, il laisse toutefois entendre que l’élection de Donald Trump entraînerait une couche de complexité supplémentaire. M. Trump représente une certaine… incertitude, a-t-il fini par concéder après une longue hésitation. On ne sait pas exactement ce qu'il va amener.
Le chef libéral ne ménage donc pas les efforts pour se préparer à tous les scénarios, tout en admettant que l’une des caractéristiques de Donald Trump est, justement, d’être… imprévisible.
L’atout de l’expérience
Devant l’inconnu que représente un éventuel retour de Donald Trump à Washington, les libéraux plaident que ce sont eux qui sont les mieux placés pour l’affronter grâce à l’expérience qu’ils ont acquise lors de son premier mandat.
Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, semble servir une mise en garde à l’électorat. Je pense que les gens, dans leur for intérieur, vont se rabattre sur une équipe comme la nôtre, qui a déjà fait [affaire avec Donald Trump], parce que ce n'est pas le temps de courir des risques
, a-t-il avancé en marge de la retraite du Cabinet.
En d’autres mots, les libéraux plaident que Justin Trudeau constitue une valeur sûre en ces temps incertains, contrairement au conservateur Pierre Poilievre, taxé d’imprudence. Les troupes libérales se servent ainsi de leur expérience comme d’une arme défensive, en tentant de démontrer leur avantage comparatif.
Mais le retour possible de Donald Trump est aussi utilisé à l’occasion comme une arme offensive. En entrevue de fin d’année à La Presse canadienne, Justin Trudeau a avancé l’expression des conservateurs MAGA
, en référence au slogan du candidat républicain, Make America Great Again.
Le Parti libéral du Canada a également publié une vidéo dans laquelle Pierre Poilievre et Donald Trump apparaissent côte à côte, employant des mots similaires.
Des ministres libéraux ont également accusé le chef conservateur d’importer une politique à la Trump
.
Cette arme offensive pourrait toutefois s’avérer bien délicate à manipuler. D’abord parce que, même si Pierre Poilievre affectionne un style de politique corrosif, les différences entre les deux politiciens sont nombreuses, à commencer par leur position sur l’avortement.
Mais aussi parce que, si Donald Trump en vient à être réélu président, les canaux diplomatiques entre Ottawa et Washington pourraient être brouillés pour de bon.
