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AnalyseÀ quoi ressemblerait un Canada sans prix sur le carbone?

La tarification sur le carbone – mesure phare du gouvernement Trudeau sur le plan environnemental – paraît plus vulnérable que jamais. Y mettre fin aurait toutefois des conséquences importantes.

Pierre Poilievre devant une affiche où on lit «Abolir la taxe, Axe the tax».

Pierre Poilievre a fait de l'abolition de la taxe carbone une pierre angulaire de son programme politique.

Photo : La Presse canadienne / JOHN WOODS

C’était parti d’un bien mauvais pied. À la surprise de plusieurs, le 3 octobre 2016, Justin Trudeau profitait d’un débat sur la ratification de l'Accord de Paris pour se lever à la Chambre des communes et annoncer qu’il imposait un prix sur le carbone.

Le premier ministre avait choisi de ne pas négocier avec les provinces. Elles auraient moins de deux ans pour adopter leur propre système de tarification sur le carbone, à défaut de quoi Ottawa imposerait une taxe de 10 $ la tonne, qui augmenterait progressivement.

Au même moment, à Montréal, les ministres de l’Environnement des provinces et territoires, réunis avec leur homologue fédérale Catherine McKenna, apprenaient la nouvelle. Et ils étaient furieux. La Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador claquaient la porte avant la fin de la rencontre.

Une femme aux cheveux mi-longs regarde droit devant elle, l'air calme. Derrière elle sont accrochés des drapeaux du Canada.

L'ancienne ministre fédérale de l'Environnement Catherine McKenna

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

Leur réaction était annonciatrice du bras de fer qui s’est ensuite engagé entre Ottawa et les provinces au sujet de la taxe sur le carbone.

Sept ans plus tard, une majorité de provinces ne l’ont toujours pas digérée.

Trois d’entre elles ont contesté la taxe jusqu’en Cour suprême du Canada, sans succès. Depuis janvier, la Saskatchewan a même cessé de la percevoir pour le chauffage résidentiel au gaz, défiant ainsi une loi fédérale d’une façon inédite au pays. Par ailleurs, pratiquement toutes les provinces où la taxe fédérale s’applique réclament qu’Ottawa suspende la hausse de 65 à 80 $ la tonne de carbone, prévue au 1er avril.

Jamais l'avenir de la tarification sur le carbone au Canada n’a paru plus incertain. Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, promet d’y mettre la hache. Il en fait le thème central de ses rassemblements, de ses attaques et de ses publicités. Selon lui, alors que l'inflation est toujours galopante, une augmentation de la taxe carbone survient au pire moment et ne fait qu’ajouter au fardeau des Canadiens.

Dans une lettre qu’il a adressée aux députés libéraux et néo-démocrates, jeudi, M. Poilievre les encourage à voter la semaine prochaine en faveur d’une motion qui aura pour objectif de geler la taxe. Si vous passez du temps dans vos communautés, vous aurez sans doute vu de vos propres yeux la misère à laquelle les Canadiens sont confrontés, écrit-il pour les convaincre, tout en les enjoignant à écouter leurs électeurs.

Ce qui n'aide rien, c'est que le gouvernement libéral a lui-même taillé une brèche dans sa propre législation en exemptant pour trois ans le mazout pour le chauffage, afin de calmer la grogne de l’Atlantique. Cette exception ne lui a toutefois pas permis de redorer son blason, alors que les sondages continuent d’être défavorables aux libéraux.

Le premier ministre Justin Trudeau à son arrivée pour une réunion de son caucus à Ottawa, le 26 janvier 2024.

Les libéraux de Justin Trudeau sont largement devancés par les conservateurs dans les intentions de vote.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

L'abolition, une mécanique facile

Alors que les conservateurs mènent largement dans les intentions de vote, la possibilité que la tarification fédérale soit éventuellement abolie semble de plus en plus plausible. Pour ce faire, un nouveau gouvernement aurait simplement à abroger la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, adoptée en 2018.

Avec une majorité à la Chambre des communes, un gouvernement pourrait complètement démanteler cette loi-là, note Sébastien Jodoin, professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université McGill. Ce serait facile dans le sens de la mécanique.

Mais les conséquences seraient notables, à commencer par celles sur le portefeuille de plusieurs citoyens. Ottawa estime que 80 % des Canadiens qui versent la taxe reçoivent du gouvernement fédéral un remboursement plus grand que ce qu’ils paient. Advenant l’abolition de la tarification, ils auraient donc moins d’argent dans leurs poches.

Le grand paradoxe, c'est que la majorité des Canadiens dans les provinces qui paient la taxe fédérale gagnent de l’argent avec ça. [L’abolir] appauvrirait les Canadiens, signale Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal.

Impact sur l’atteinte des cibles

Les conséquences se feraient également sentir sur le bilan de réduction des gaz à effet de serre du Canada. L’effet ne serait toutefois pas immédiat. À court terme, il n’y aurait pas de grosses conséquences; cette taxe reste assez imperceptible puisqu’elle demeure modeste, note M. Pineau. L’impact sera toutefois de plus en plus important avec le temps, car la taxe doit graduellement grimper à 170 $ la tonne de carbone d’ici 2030.

Ottawa estime d’ailleurs que la tarification sur le carbone va permettre de réduire de jusqu’à un tiers les émissions au pays d’ici 2030.

Il va falloir trouver d’autres moyens pour atteindre la cible si on enlève la taxe sur le carbone. Même avec la taxe, ce n’est pas suffisant.

Une citation de Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal

Or, la plupart des économistes s’entendent sur le fait qu’un prix sur le carbone est une façon plus efficace et moins coûteuse de réduire les émissions de GES que d'offrir des subventions ou d'adopter des mesures réglementaires. Le Canada vise à réduire ses émissions de 40 % d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2005.

Incertitude pour les entreprises

Alors que le Canada mise sur la transition énergétique, les entreprises qui se sont engagées dans cette voie risquent également de voir leurs ardeurs freinées.

Ça introduit beaucoup d'incertitude pour toutes les compagnies qui investissent afin de développer des produits faibles en carbone, soulève M. Jodoin. Est-ce qu’on reste encore avec une vision de l’économie basée sur l’exploitation des énergies fossiles, l’exploitation des ressources naturelles, ou est-ce qu’on s’en va vers une économie plus moderne?

Les entreprises exportatrices canadiennes pourraient également pâtir de l’abolition éventuelle de la tarification sur le carbone. L’Union européenne – qui possède un marché du carbone – a adopté récemment un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. À terme, ce mécanisme imposera des tarifs douaniers aux marchandises à forte intensité carbone importées en Europe. Le Canada n’en sera pas exempté.

À contre-courant

L’image du Canada sur la scène internationale pourrait également en prendre pour son rhume si la tarification sur le carbone était supprimée.

Selon les données de la Banque mondiale, 23 % des émissions sur la planète sont désormais couvertes soit par une taxe carbone, soit par un système d’échange de quotas d’émission (bourse du carbone). Cette proportion n'était que de 7 % il y a 10 ans. Pas moins de 46 pays ont fait le saut et d’autres y songent, notamment des pays émergents comme le Vietnam ou la Turquie.

À l'échelle internationale, la tarification du carbone est en croissance. Ça se répand de plus en plus dans les pays du monde, signale M. Pineau. L’abolir serait très clairement aller à l'encontre d’une tendance mondiale et ferait passer le Canada pour un pays un peu rétrograde en ce qui concerne la lutte contre les changements climatiques.

Certaines provinces canadiennes – dont le Québec – ont été des précurseurs dans la mise en place d’un système de tarification sur le carbone au pays. Alors que de plus en plus d'États sur le globe en voient les vertus et emboîtent le pas au Canada, le sort du prix sur le carbone apparaît paradoxalement plus incertain que jamais ici.

Et le Québec dans tout ça?

Depuis 2013, le Québec a mis sur pied son propre système de plafonnement et d'échange de droits d’émission de gaz à effet de serre, qui est désormais lié à celui de la Californie. La province n’est donc pas soumise à la taxe fédérale. Aux dernières enchères, en février, les droits d’émission se vendaient à près de 57 $ la tonne de carbone. Si le Canada abolissait la taxe fédérale sur le carbone, cela ne changerait rien à l'approche du Québec, signale le gouvernement.

Le Québec poursuivra ses efforts dans sa lutte contre les changements climatiques, indépendamment des décisions du gouvernement fédéral. Nous encourageons d’ailleurs tous les États à contribuer aux efforts de lutte contre les changements climatiques, écrit dans un courriel Amélie Moffet, attachée de presse du ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette.

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