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Pourquoi des groupes islamistes s’en prennent-ils à la Russie?

Un homme marche près de la place Rouge, à Moscou, fermée en raison des mesures de sécurité qui ont été renforcées après l'attentat à la salle de spectacle Crocus City Hall à Krasnogorsk, près de Moscou.

Un homme marche près de la place Rouge, à Moscou, fermée en raison des mesures de sécurité qui ont été renforcées après l'attentat à la salle de spectacle Crocus City Hall à Krasnogorsk, près de Moscou.

Photo : Reuters / Shamil Zhumatov

L'attaque contre la salle de spectacle Crocus City Hall est la plus meurtrière en Russie depuis une vingtaine d'années et la plus sanglante en Europe à avoir été revendiquée par le groupe armé État islamique (EI) depuis les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Or, cet attentat, loin d'être le premier revendiqué par ce groupe armé dans ce pays, ne surprend pas les experts interrogés par Radio-Canada.

Il y a deux semaines, l'ambassade américaine en Russie avait pourtant averti ses citoyens qu'elle étudiait de près des informations selon lesquelles des extrémistes envisageaient de façon imminente de cibler de grands rassemblements à Moscou, y compris des concerts, sans toutefois préciser d’où venait la menace.

Mardi, Vladimir Poutine avait rejeté ces déclarations. Tout cela ressemble à du chantage pur et simple et à une volonté d'intimider et de déstabiliser notre société, avait-il dit.

Le bilan s'établissait dimanche matin à 137 morts et 152 blessés, selon le ministère russe des Situations d'urgence.

L’attentat du 22 mars était-il évitable?

Vladimir Poutine et le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) ont probablement considéré cet avertissement comme une tentative des États-Unis de semer la panique en Russie, estime Ferry De Kerckhove, ancien ambassadeur canadien et professeur à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

Je crois que c'est dans l'esprit même du caractère de Poutine d'ignorer ce genre d'annonces, dit-il, bien que la Russie fasse ouvertement partie des cibles d'EI depuis plusieurs années.

Aux yeux de Poutine, tenir compte de ces avertissements aurait été un signe de faiblesse, estime M. De Kerckhove. Or, ce signe de faiblesse va lui coûter assez cher.

Ignorer ce que les Américains lui ont donné comme renseignement est déplorable, parce qu’il va se retrouver coupable d'avoir ignoré ce qui aurait pu éviter ce massacre.

Une citation de Ferry De Kerckhove, ancien ambassadeur canadien et professeur à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa

Plus tôt ce mois-ci, les services secrets russes ont même démantelé dans le Caucase du Sud une cellule qu'ils ont identifiée comme appartenant à EI et qui prévoyait d'attaquer deux synagogues à Moscou.

Dans une allocution télévisée présentée samedi, Poutine a repris la version des faits présentée par ses services de sécurité en affirmant que les attaquants avaient des contacts en Ukraine. À aucun moment il n'a mentionné la revendication d’EI.

Les suspects ont finalement été arrêtés dans la région de Briansk, frontalière de l'Ukraine et du Bélarus, selon le comité d'enquête russe.

Des membres du Comité d'enquête de Russie examinent des munitions trouvées sur les lieux de l'attentat meurtrier de vendredi.

Des membres du Comité d'enquête de Russie examinent des munitions trouvées sur les lieux de l'attentat meurtrier de vendredi.

Photo : Reuters / Comité d'enquête de Russie

Poutine peut-il tourner l’attentat à son avantage?

C’est malheureux à dire, mais peu importe qui a commis l’attentat : reste à voir comment Poutine va s’en servir. […] C’est une raison qui va servir à justifier son éternelle présence à la tête du pays au nom de la sécurité et de la survie de l’autonomie russe, a noté Tamara Altéresco, ex-correspondante en Russie pour Radio-Canada, en entrevue vendredi à l'émission 24·60.

Il est encore trop tôt pour dire si cette attaque va renforcer le pouvoir de Poutine, mais c’est très rare que les attaques le déstabilisent. Il s’en sert surtout pour continuer de convaincre sa population qu'elle a besoin de lui, ajoute Tamara Altéresco.

Dans le même ordre d’idées, Aurélie Campana, professeure au Département de science politique de l’Université Laval, croit que « la population russe aura tendance – pas dans sa totalité, mais dans sa majorité – à se ranger davantage derrière Vladimir Poutine ».

Chaque fois qu’il y a un épisode de violence, il y a un durcissement du régime. [...] C'est un revirement de situation qui va être maîtrisé comme il l’a toujours été en Russie, c’est-à-dire par l’utilisation de la répression et de la violence.

Une citation de Aurélie Campana, professeure de science politique à l’Université Laval

Quel est le lien entre EI-K et la Russie?

« EI-K, c'est une revendication qui émane de la branche afghane d'EI [aussi appelée État islamique – province de Khorassan]. Ce groupe armé, considéré par de nombreux États comme une organisation terroriste, doit son nom à une province afghane située à la frontière entre le Pakistan et le Tadjikistan », explique Aurélie Campana.

C'est un groupe créé par une coalition de personnes qui se sont dissociées des groupes islamistes auxquels ils appartenaient, tels qu’Al-Qaïda ou encore les talibans afghans ou pakistanais.

Une citation de Aurélie Campana, professeure de science politique à l’Université Laval

C'est un groupe, qui, depuis plus de deux ans, n'a de cesse de véhiculer des discours antirusses sur ses comptes de médias sociaux, poursuit la professeure.

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, EI – et particulièrement sa branche afghane – a multiplié les actions afin de mobiliser directement en Russie des musulmans radicalisés contre l’État russe. Il y a un faisceau convergent qui fait donc dire que cette attaque n’est pas une surprise totale, note Aurélie Campana.

Cette propagande a fonctionné jusqu'à un certain point, ce qui a incité les musulmans russes à se soulever contre le régime de Vladimir Poutine, ajoute-t-elle.

Les Russes qui ont été recrutés dans les rangs de l’organisation djihadiste en Syrie et en Irak ont hérité de responsabilités importantes en matière de commandement, note de son côté Wassim Nasr, spécialiste du djihadisme et chercheur associé au Soufan Center.

Il ne faut pas oublier que ce n'est pas la première fois qu’EI s’attaque à la Russie. Il y a eu deux attentats revendiqués en 2016, trois en 2017, deux en 2018 et un en 2019, et tout cela, à l’extérieur de la région du Caucase.

Une citation de Wassim Nasr, spécialiste du djihadisme et chercheur associé au Soufan Center

Les groupes extrémistes islamistes se situent actuellement principalement dans le Caucase du Nord et au centre de la Russie. Il y a un certain nombre de républiques à majorité musulmane qui ont constitué dans les années 2010 des microfoyers de radicalisation avec une poussée du salafisme très proche de celui que défend maintenant EI, décortique la professeure en ajoutant que les prisons russes sont actuellement pleines de djihadistes.

« Il y a des foyers de radicalisation en Russie connus depuis des années. Dans les derniers mois, tous les yeux étaient rivés sur l'Ukraine, et on s’est très peu intéressé à la vivacité de ces foyers qui continuaient à être alimentés par des combattants russes qui revenaient de la Syrie. Ces derniers ont pu contribuer à former des cellules clandestines, comme celle qui revendique l’attaque meurtrière de vendredi », ajoute Aurélie Campana.

Nous pensions que la plupart de ces cellules avaient été démantelées, mais ça ne veut pas dire qu'elles ont disparu. Elles se sont recomposées à la faveur des allées et venues de certains combattants russes en Syrie.

Une citation de Aurélie Campana, professeure de sciences politiques à l’Université Laval

« Il est clair qu'EI-K reproche à la Russie les guerres qu'elle a menées en Tchétchénie et en Syrie. Il lui reproche également son intervention en Afrique de l’Ouest aux côtés des régimes malien et burkinabé, notamment au Sahel, ainsi que ses tentatives de rapprochements avec les talibans afghans », conclut Aurélie Campana.

Avec les informations de Gabrielle Proulx

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