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AnalyseEt si les provinces dictaient les priorités d’Ottawa?

Justin Trudeau fait le pari que les électeurs ne lui feront pas payer le prix de son ingérence dans les champs de compétence des provinces.

Montage photo de Justin Trudeau, Danielle Smith, Blaine Higgs, Francois Legault et Doug Ford.

L'annonce de certains programmes pancanadiens a été mal accueillie par certains premiers ministres provinciaux qui y voient une intrusion dans leurs champs de compétence.

Photo : Montage - La Presse canadienne/Radio-Canada

« Est-ce que vous accepteriez que les provinces empiètent sur les compétences fédérales? » La question, posée en point de presse à Justin Trudeau à Winnipeg, jeudi, l’a piqué au vif.

Le chef libéral, qui se fait reprocher d’attacher des conditions aux milliards qu’il promet aux provinces depuis le début de l’effeuillage budgétaire, la semaine dernière, a répondu du tac au tac.

Je suis toujours content d'entendre les perspectives et de recevoir de l'argent des provinces si elles veulent investir dans notre militaire, par exemple, a-t-il lancé, sourire en coin.

Ainsi donc, c’est parce que le gouvernement fédéral a les poches plus profondes que celles des provinces qu’Ottawa peut se permettre de leur imposer ses priorités.

Justin Trudeau s'adresse aux médias lors d'une conférence de presse sur le logement abordable à Winnipeg, le jeudi 4 avril 2024.

Le premier ministre Justin Trudeau a répondu du tac au tac à un scénario hypothétique où des provinces s'ingéreraient dans les compétences fédérales.

Photo : La Presse canadienne / John Woods

Il faudrait maintenant pousser la logique plus loin.

Justin Trudeau accepterait-il les conditions des provinces si leurs coffres étaient assez remplis pour financer l’armée canadienne? Serait-il d’accord, par exemple, pour prendre une enveloppe de Québec si la province lui demandait de prioriser la défense de l’Arctique? L’achat de sous-marins? Le déploiement de troupes en Haïti?

Évidemment, cette politique-fiction ne risque pas d’arriver. Dans la réalité de la fédération canadienne, le pouvoir de dépenser d’Ottawa est sans commune mesure avec celui des provinces et des territoires, quitte à accumuler les déficits. Ce qui n’empêche pas les provinces de s'en offusquer.

Les citoyens s’en foutent

Depuis le début de l’égrenage du budget, Justin Trudeau a annoncé l’équivalent de 8 milliards de dollars en argent neuf, principalement pour des programmes qui touchent les compétences provinciales : logement, services de garde, alimentation scolaire. Les premiers ministres François Legault (Québec), Doug Ford (Ontario), Blaine Higgs (Nouveau-Brunswick) et Danielle Smith (Alberta) ont tour à tour dénoncé la manœuvre, digérant bien mal de se faire promettre des milliards… seulement s’ils se plient aux conditions d’Ottawa.

À cela, Justin Trudeau répond par un haussement d’épaules. Les citoyens se foutent de quel ordre de gouvernement est responsable de quoi, a-t-il lancé en point de presse jeudi, pour sa sixième annonce prébudgétaire.

Ce n’est évidemment pas les provinces que Justin Trudeau a dans sa ligne de mire – c’est Pierre Poilievre.

Pierre Poilievre en conférence de presse sur un chantier de construction.

Les libéraux laissent entendre que leur principal adversaire, le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, sabrerait dans les programmes qui donnent de l'oxygène aux citoyens.

Photo : La Presse canadienne / Christinne Muschi

Se débattant depuis des mois avec leur impopularité dans les sondages, les libéraux souhaitent toucher les gens droit au cœur. Ils mettent en avant la compassion qui a été leur marque de commerce depuis leur arrivée au pouvoir en 2015 et laissent entendre que Pierre Poilievre sabrerait dans les programmes qui donnent un peu d’oxygène aux citoyens.

Ils veulent se montrer à l’écoute de la frustration des gens qui dépensent une fortune pour un loyer, qui ont du mal à payer l’épicerie, qui cherchent désespérément une place en garderie. À un an et demi des élections, la tentation est forte de leur promettre mer et monde.

Or, il appert que le partage des compétences prévu par la constitution laisse aux provinces les champs qui permettent d’agir très concrètement dans le quotidien des gens. Les cris d’indignation des provinces n’émeuvent pas les libéraux. Ce n’est pas le vote de François Legault ou de Doug Ford qu’ils courtisent. C’est celui des électeurs de leurs provinces.

Plus ça change…

Il est frappant de voir comment les chefs de partis fédéraux, avant d’être élus, promettent un apaisement des relations avec les provinces… pour finalement jeter les gants.

Avant d’être élu en 2006, Stephen Harper s’engageait à privilégier un fédéralisme d’ouverture et souhaitait mettre fin au déséquilibre fiscal. Au fil de ses années au pouvoir, il s’est toutefois mis une partie des provinces à dos, notamment en refusant régulièrement de participer aux rencontres du Conseil de la fédération.

Les premiers ministres Blaine Higgs, du Nouveau-Brunswick, Andrew Furey, de Terre-Neuve-et-Labrador, et Scott Moe, de la Saskatchewan, lors du Conseil de la fédération canadienne, en juillet 2023.

Le Conseil de la fédération regroupe l'ensemble des premiers ministres provinciaux et territoriaux afin de discuter d'enjeux communs avec le fédéral.

Photo : La Presse canadienne / JOHN WOODS

Alors qu’il était dans l’opposition, Justin Trudeau reprochait justement à Stephen Harper de ne pas s'asseoir à la même table que ses homologues des provinces. En 2014, il dénonçait l’approche paternaliste du gouvernement conservateur de l’époque, notamment avec sa subvention canadienne à l’emploi, un programme de formation de la main-d'œuvre très mal reçu à Québec.

Nous savons très bien que ce sont les provinces qui savent mieux que tout autre quels sont les réels besoins sur le terrain, lançait Justin Trudeau le 11 février 2014, dans la foulée du dépôt du budget conservateur de Jim Flaherty. Le chef libéral déplorait alors un manque de respect pour les provinces, qui va faire mal dans les relations interprovinciales avec le Canada.

Ainsi, avec le temps qui passe, les premiers ministres semblent faire le calcul qu’entretenir de bonnes relations avec leurs homologues des provinces n’est pas si payant que ça.

Un gouvernement qui se bat pour sa survie ne se formalisera pas d’écraser quelques orteils.

Avec la collaboration de Marie Chabot-Johnson

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