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Les micro-organismes apportent un nouvel éclairage sur le Montréal d’autrefois

Des archéologues du musée Pointe-à-Callière et des microbiologistes de l’Université du Québec à Montréal étudient les fondations de la métropole sous un jour nouveau, au moyen du monde microbien.

Une maquette du fort de Ville-Marie.

Cette maquette représente le fort de Ville-Marie, dont une partie des fondations sont visibles à travers le plancher-vitrine du musée Pointe-à-Callière, dans le Vieux-Montréal.

Photo : Radio-Canada / Gaëlle Lussiaà-Berdou

Une analyse inédite des sols du musée bâti sur le lieu de naissance de Montréal a permis d’y détecter une faune microscopique très ancienne qui appuie les hypothèses que ses premiers habitants ont pu entretenir des potagers et mener des activités de forge à même le fort qu’ils y avaient construit, entre autres.

Le musée Pointe-à-Callière avait pris les allures d’un chantier pas comme les autres, en novembre 2022. Le lourd plancher-vitrine qui recouvre les fondations du fort de Ville-Marie – premier établissement français dans la région, considéré comme le lieu de fondation de la métropole – avait été retiré pour une rare fois afin de permettre à quelques experts d’accéder aux sols qu’il recouvre.

Les archéologues, équipés non pas de leurs habituels balais et truelles, mais d’un marteau et d’un long tube de métal, ont alors prélevé des carottes dans la terre, avec un objectif inédit : analyser les micro-organismes qui ont vécu dans les différentes couches du sol au fil des époques.

M. Van Gijseghem tient un maillet et un tube d'acier.

L'archéologue Hendrik Van Gijseghem et l'étudiante Marjorie Collette ont prélevé des carottes dans le sol sous le musée Pointe-à-Callière en novembre 2022.

Photo : Radio-Canada / Gaëlle Lussiaà-Berdou

On a d’abord des sols de remblai, qui sont mélangés et apportés d’ailleurs, puis des sols d’occupation, qui témoignent des activités qui ont eu lieu dans le fort de Ville-Marie. Puis on a des argiles marines, qui sont les sols naturels sous-jacents, décrit l’archéologue Hendrik Van Gijseghem à propos des strates qui se succèdent dans les carottes.

Aux côtés des archéologues, ce jour-là, la microbiologiste de l’Université du Québec à Montréal Cassandre Lazar expliquait ce qu’elle espérait tirer de ces échantillons.

Ils contiennent un mélange de micro-organismes vivants et de micro-organismes morts, certains depuis très longtemps, depuis l’âge auquel correspondent les différents sols, dit-elle.

L’idée, c’est de récupérer l’ADN de ces micro-organismes morts [...] et d’essayer d’associer la communauté microbienne à ce qui se passait à cette époque-là.

Une citation de Cassandre Lazar, microbiologiste de l’Université du Québec à Montréal
Cassandre Lazar en entrevue.

Cassandre Lazar est microbiologiste à l’Université du Québec à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Bref, faire parler bactéries, champignons et autres levures pour révéler ce qui a pu se passer autour d’eux de leur vivant, quand Montréal en était à ses balbutiements.

Hendrik Van Gijseghem rappelle que le fort de Ville-Marie était une mission fondée en 1642 par un groupe de Français, les Montréalistes, qui avaient comme mission de fonder un lieu où ils allaient interagir avec les populations autochtones dans le but de les christianiser.

Le trio autour d'un tube d'acier d'où dépasse de la terre.

L'archéologue Hendrik Van Gijseghem (à gauche), la microbiologiste Cassandre Lazar (à droite, à l'avant-plan) et l'étudiante de cette dernière Marjorie Collette (au centre) observent une carotte qu'ils viennent de prélever.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Des mousses à l'origine d'une collaboration déterminante

Mise au jour au début des années 2000, une partie des fondations du fort est accessible au public depuis 2017 au musée Pointe-à-Callière.

Mais une fois le sol déblayé par les archéologues et exposé à l’air, il s’est peu à peu modifié. Des taches vertes sont apparues à la surface, qui a pris par endroits l’aspect d’un minigolf, décrit M. Van Gijseghem. À un moment donné, on a fait appel à une microbiologiste pour se prononcer sur ce qu’étaient ces petites mousses vertes.

C’était en 2018, et Cassandre Lazar a répondu à l’appel du musée. Non seulement pour analyser cette curieuse contamination, qui a depuis été identifiée comme un lichen et éliminée, mais aussi pour ce que ces sols pourraient révéler du passé des lieux.

Mme Lazar tient la carotte.

La microbiologiste Cassandre Lazar avec l'une des carottes prélevées.

Photo : Radio-Canada / François Perré

C’est là que j’ai commencé à mettre en place mon idée de protocole pour distinguer l’ADN des micro-organismes fossiles de celui des micro-organismes qui sont encore en vie, relate la chercheuse.

Le principe est relativement simple, du moins en théorie.

Les sols organiques, récents ou plus anciens, sont des écosystèmes bien vivants. Ils contiennent à la fois des organismes vivants et morts. Pour distinguer les deux et identifier ceux qui ont proliféré dans le passé, la chercheuse a analysé le contenu en ADN des sols présentés au musée, mais aussi leur ARN.

Il faut savoir que l’ARN est produit par toutes les cellules vivantes, métaboliquement actives. [...] Mon idée, c’était d’extraire l’ADN qui représente vraiment tout ce qu’il y a dans l’habitat, donc ce qui est mort ou encore vivant. On extrait l’ARN en parallèle, donc juste ce qui était vivant, et on soustrait les deux.

Que sont l’ADN et l’ARN?

L'acide désoxyribonucléique (ADN) est présent dans toutes les cellules des êtres vivants et contient l'information génétique qui permet leur développement. L’ADN est d’abord recopié en acide ribonucléique (ARN) avant d’être transcrit en toutes sortes de protéines qui font fonctionner l’organisme. La présence d’ARN est donc associée au fonctionnement des cellules actives. Il est plus fragile que l’ADN, qui peut persister longtemps dans les cellules après leur mort.

De petits amoncellements de terre alignés sur des feuilles de papier d'aluminium.

Les différentes strates des carottes ont été séparées pour être analysées.

Photo : Radio-Canada / Gaëlle Lussiaà-Berdou

Des analyses préliminaires d’échantillons prélevés en surface en 2019 avaient déjà révélé la présence de certaines bactéries anciennes – dites « fossiles » – intéressantes. Notamment, des espèces associées à des activités de boucherie ou encore à la culture du tabac.

On sait qu’il y avait consommation de plants de tabac au fort de Ville-Marie, une pratique que les Français avaient adoptée de leurs partenaires autochtones, explique Hendrik Van Gijseghem. On trouve des pipes, des choses comme ça. Mais où était le tabac? Est-ce qu’il était à l’intérieur du fort?

On a désormais une bactérie qui nous indique qu’à cet endroit, il y avait des plants de tabac. Cet apport de données bactériennes vient jeter un éclairage complètement nouveau sur les données archéologiques.

Une citation de Hendrik Van Gijseghem, archéologue et chargé de projet à Pointe-à-Callière
Hendrik Van Gijseghem en entrevue.

Hendrik Van Gijseghem, archéologue et chargé de projet à Pointe-à-Callière

Photo : Radio-Canada / Découverte

Il n’en fallait pas plus pour qu’ils décident de creuser plus loin.

Fin 2022, l’équipe a donc récolté de grandes carottes dans les sols du musée pour tenter d’associer plus finement les communautés bactériennes aux différentes strates équivalant aux époques successives d’occupation du site, en remontant jusqu’aux argiles de la mer de Champlain.

Des résultats qui dépassent les attentes

Les résultats se sont fait attendre pendant plus d’un an, mais les espoirs de l'équipe n’ont pas été déçus.

Je n'en reviens pas à quel point un sol peut révéler des choses. Ça dépasse tout ce qu'on pouvait imaginer, s’est émerveillée l’archéologue Louise Pothier lors d’une rencontre où Cassandre Lazar et ses collègues ont présenté leurs premières analyses aux experts et à la direction du musée. Découverte a pu assister à la présentation.

Parmi leurs trouvailles, des bactéries habituellement présentes dans des grottes souterraines et des environnements volcaniques.

Est-ce que des activités de forge pourraient créer des environnements propices à l’établissement de micro-organismes similaires? s’interroge Hendrik Van Gijseghem.

Oui, parce qu’on voit des résidus du travail du minerai et de forge sur le site, renchérit sa collègue Louise Pothier, tout aussi intriguée.

Portrait de Louise Pothier.

Louise Pothier, conservatrice et archéologue en chef à Pointe-à-Callière, cité d'archéologie et d'histoire de Montréal (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

La présence de microbes généralement associés à des sols agricoles a suscité la même curiosité enthousiaste. Elle laisse croire que les habitants du fort de Ville-Marie pourraient y avoir entretenu des potagers, ce qui n’était jusqu’ici qu’une hypothèse.

Ça a un certain sens puisqu’il y avait des tensions avec les voisins, a estimé M. Van Gijseghem. J’imagine qu’on veut une certaine sécurité alimentaire s’il y a des sièges, des choses comme ça.

Archéologiquement, on n’avait absolument aucune indication de ces choses-là. Il semble que les communautés bactériennes viennent les renforcer et même nous indiquer à quel endroit il a pu y avoir un de ces petits jardins. C’est absolument génial!

Une citation de Hendrik Van Gijseghem, archéologue et chargé de projet à Pointe-à-Callière

L’analyse de ces données microbiennes fossiles ne fait que commencer. Qui sait ce qu’elle pourra encore révéler, à Montréal ou ailleurs?

C’est le début de la paléomicrobiologie archéologique, plaisante Cassandre Lazar à propos de cette approche qui n’a pas encore vraiment de nom, mais dont elle espère refaire l’expérience.

On va en parler autant qu’on peut, montrer ça à d’autres archéologues, pour voir si on peut avoir accès à d’autres sites et voir si ça marche dans d’autres endroits, projette-t-elle.

Des archéologues en plein travail.

Le reportage de Gaëlle Lussiaà-Berdou et de François Perré à ce sujet présenté à l'émission «Découverte»

Photo : Découverte

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