•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

IA au Bureau de la traduction : le commissaire aux langues officielles met en garde Ottawa

Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, lors d'une conférence de presse à Ottawa le 30 mai 2023.

Raymond Théberge est commissaire aux langues officielles.

Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel

Le Bureau de la traduction du gouvernement fédéral souhaite miser sur l’intelligence artificielle pour accroître sa productivité. Le commissaire aux langues officielles du Canada met en garde le gouvernement : il faut éviter que cette technologie ne relègue le français au second plan.

On veut s’assurer que l’utilisation de ces outils ne remplace pas l'utilisation véritable des deux langues officielles [au sein des institutions fédérales], affirme le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge.

Pour lui, il est primordial que le français et l’anglais soient utilisés quotidiennement dans la fonction publique, tant à l’oral et à l’écrit que dans les services offerts aux citoyens.

Est-ce qu'une langue va être uniquement traduite vers l’autre langue, en particulier le français?

Une citation de Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles du Canada

Cela contreviendrait au principe d’égalité réelle entre le français et l’anglais, garanti par la Loi sur les langues officielles.

Deux drapeaux canadiens ornent l'entrée d'un édifice.

Le Bureau de la traduction se trouve dans le secteur de Hull, à Gatineau.

Photo : Radio-Canada / Maxim Allain

M. Théberge entend partager ses préoccupations avec le secrétariat du Conseil du Trésor, qui a émis des lignes directrices entourant l’utilisation de l’intelligence artificielle au sein du gouvernement (Nouvelle fenêtre). Il souligne que le gouvernement doit être très conscient des conséquences de l’utilisation de ces technologies sur l’usage des deux langues officielles quotidiennement.

Ce n’est pas une panacée, ajoute-t-il. Le gouvernement devra s’assurer aussi de la transparence quand [il] s’en sert, etc. donc il y a des critères [dont] on doit discuter. L’utilisation de ces outils et leur mise en œuvre devront être encadrées.

Raymond Théberge perçoit néanmoins l’intelligence artificielle comme un outil prometteur pour améliorer la capacité de la fonction publique de faire de la traduction, qui est [un] point fondamental du respect de la Loi sur les langues officielles.

Le Bureau de la traduction estime qu’environ 80 % des traductions parlementaires se font de l’anglais vers le français. En ce qui concerne les traductions effectuées pour le compte des ministères, la proportion de documents traduits de l’anglais vers le français grimpe à 89 %.

Des délais de traduction discriminatoires?

Le sénateur conservateur Claude Carignan accepte rarement de travailler avec un document qui n’a pas été traduit dans sa langue maternelle. Bien qu’il soit bilingue, il veut être certain de comprendre toutes les nuances des sujets sur lesquels il doit prendre position.

Mais actuellement, je ne l’ai pas ma traduction [...] dans les délais que j’ai besoin de l’avoir, clame-t-il. Le sénateur explique que ses collègues anglophones reçoivent souvent des documents plusieurs semaines avant lui. Cela fait qu’il n’a pas le même délai de préparation. On est discriminés, s’insurge-t-il.

Dès qu’il y a un désavantage basé sur la langue, cette distinction-là pour moi est discriminatoire. Donc je n’ai pas à faire ce compromis-là.

Une citation de Claude Carignan, sénateur conservateur du Québec

Ça peut retarder certaines décisions, ça peut retarder certains travaux, dit-il. Le meilleur exemple est, selon lui, le comité parlementaire responsable d’étudier le recours à la Loi sur les mesures d’urgence du gouvernement Trudeau, dont les travaux sont suspendus depuis près d’un an en raison de délais de traduction.

Pour le sénateur Carignan, il est tout aussi important que les documents rédigés en français soient rapidement traduits en anglais pour qu’ils aient la même portée. Ça a un impact sur l’influence politique [...] c’est important d’atteindre autant les francophones que les anglophones.

Un homme prend des notes, assis derrière son bureau.

Le sénateur conservateur du Québec, Claude Carignan

Photo : Radio-Canada / Olivier Plante

En février dernier, de hauts fonctionnaires du Bureau de la traduction ont été sommés d’expliquer pourquoi le comité n’avait toujours pas reçu la traduction de documents et de témoignages présentés lors de la commission Rouleau, qui a examiné les circonstances ayant mené à la déclaration de l’état d’urgence par le gouvernement Trudeau en février 2022.

Selon leurs estimations, la traduction sans recours à l’intelligence artificielle des 8000 documents prendrait environ 10 mois et coûterait 16 millions de dollars.

Nous nous assurons maintenant d’explorer toutes les possibilités que pourrait nous offrir l’automatisation ou l’intelligence artificielle, a affirmé en comité le président-directeur général du Bureau de la traduction, Jean-François Lymburner.

Cependant, c’est sûr qu’au Bureau de la traduction, la relève pose des défis, tout comme notre financement et notre modèle d’affaires, a-t-il enchaîné.

Le Bureau de la traduction veut améliorer sa performance

Moins d’un mois après le passage des dirigeants du Bureau de la traduction en comité parlementaire, le gouvernement a entrepris de nouvelles démarches pour signer un ou des contrats avec des entreprises du secteur des technologies langagières.

L’objectif est de mettre la main sur un outil qui fonctionne grâce à l’intelligence artificielle afin d’accroître la productivité et de réduire les délais d’exécution des traductions [...] et d’améliorer la qualité, l’uniformité et la précision des traductions, peut-on lire sur le site des appels d’offres du gouvernement.

La porte-parole du ministère de Services publics et Approvisionnement Canada, Michèle LaRose, précise que le Bureau de la traduction veut améliorer la qualité, l'uniformité et la précision des traductions produites par l’intelligence artificielle.

Une infographie montrant un livre ouvert.

Le Bureau de la traduction utilise déjà des outils de traduction automatique qui reposent sur l’intelligence artificielle.

Photo : iStock

Le Bureau a recours à des outils de traduction automatique qui reposent sur l’intelligence artificielle depuis plusieurs années.

Or, depuis le début de la pandémie, l’équipe composée d’environ 730 traducteurs fait face à une augmentation significative de la demande pour ses services, en particulier pour les études menées par les comités parlementaires, selon Mme LaRose.

Le sénateur Claude Carignan souligne qu’il ne serait pas surpris qu’il y ait un lien entre la volonté du Bureau de la traduction d’améliorer sa productivité et une plainte qu’il a déposée au Commissariat aux langues officielles qui dénonçait plusieurs entorses au français commises par la Commission sur l’état d’urgence. En mars, une partie de la plainte a été jugée fondée.

L’intelligence artificielle est-elle un gage de qualité?

Le président de l'Association canadienne des employés professionnels, Nathan Prier, craint que le recours accéléré à l’intelligence artificielle nuise à la qualité des traductions.

Selon lui, plusieurs membres du syndicat qui utilisent les outils actuels rapportent devoir effectuer des corrections par la suite. Nous n’avons pas la qualité de la technologie pour garantir la qualité de la traduction et c’est pour ça qu’on [doit] embaucher plus de traducteurs, analyse M. Prier.

Un homme pose devant le logo de l'Association canadienne des employés professionnels.

Le président de l'Association canadienne des employés professionnels (ACEP), Nathan Prier

Photo : Radio-Canada / Simon Lasalle

Il y a un potentiel pour augmenter la productivité, mais là où il faut faire attention, c’est en ce qui concerne la qualité, ajoute la professeure titulaire à l’école de traduction et d’interprétation à l’Université d’Ottawa, Lynne Bowker.

Les ordinateurs traitent la langue, ils ne comprennent pas la langue, prévient Mme Bowker, qui est traductrice depuis 1991. Ils ont le potentiel de créer des erreurs. C’est pourquoi il faut vraiment vérifier que le texte d’arrivée dit la même chose que le texte de départ, souligne Mme Bowker.

Le Bureau de la traduction estime que l’apport des traducteurs [...] sera toujours essentiel [...] afin de garantir la qualité.

Une citation de Michèle LaRose, porte-parole du ministère de Services publics et Approvisionnement Canada

Le bureau du ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault, se fait rassurant quant aux effets de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Nous savons qu’il faut encadrer cette nouvelle technologie afin d’avoir une IA responsable, indique par courriel l’attaché de presse Mathis Denis.

Le cabinet souligne également que le gouvernement a annoncé dans son budget un investissement de 5,1 millions de dollars en 2025-2026 pour créer le poste de commissaire à l’IA afin de bien appliquer la loi sur l’IA et avoir une intelligence artificielle responsable. Le projet de loi sur l’IA a toutefois été jugé inadéquat par de nombreux spécialistes.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre ICI Ottawa-Gatineau

Une fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité régionale.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre d’ICI Ottawa-Gatineau.