•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Vous naviguez sur le site Radio-Canada

Début du contenu principal

Les vieilles gares québécoises ont besoin d’amour

Les vieilles gares québécoises ont besoin d’amour

Le Québec compte 42 gares ferroviaires patrimoniales désignées. Malheureusement, bon nombre d’entre elles sont mal en point.

Publié le 28 avril 2024

Là, on voit la poutre de la corniche qui est pourrie; ici, il y a un trou dans le toit, constate Frédéric Beaulieu en faisant le tour de la vieille gare du Canadien Pacifique de Shawinigan.

Les marmottes ont même fait leur nid à côté de la fondation, lâche le directeur des communications de la municipalité, en enjambant l’entrée du tunnel creusé par les dodus mammifères.

Le bâtiment, inauguré en 1927, se retrouve à l'abandon depuis une trentaine d’années. En fait, depuis l'arrêt du service pour les passagers, explique cet enfant du pays, nostalgique de l’ambiance animée de sa jeunesse.

Depuis qu’elle est propriétaire des lieux, en 2017, la Ville a réalisé quelques travaux d’urgence, sauf que pour faire peau neuve, un véritable investissement est nécessaire.

La couverture est à refaire, de même que la fenestration et la corniche en bois, typique des gares patrimoniales canadiennes. Celle-ci a été classée par le gouvernement fédéral en 1994. Mais la cerise sur le gâteau, c’est l’amiante qui se trouve dans les murs. Le montant total des travaux s’élève à plus d’un million de dollars, estime M. Beaulieu.

Il y a quelques mois, la municipalité a lancé un appel d’offres pour attirer d'éventuels repreneurs. Une dizaine d’investisseurs se sont montrés intéressés, mais tous ont été refroidis par le montant de la facture.

La première option serait maintenant que la ville se charge des travaux, mais je ne suis pas certain que les élus et les citoyens soient d'accord avec une telle dépense, argue-t-il. La deuxième, c’est la démolition, et c'est évident qu'on va évacuer toutes les options possibles et inimaginables avant d'en arriver-là.

Un véritable sac de nœuds pour l’administration municipale, même si, pour M. Beaulieu, il y a toujours un mince espoir d’obtenir un financement de Québec.

Il faut qu’on arrête de penser en silos

la gare du CP de Shawinigan
La gare du CP de Shawinigan Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Parcs Canada, responsable des gares patrimoniales, offre annuellement une subvention pour rénover les édifices. Les moyens sont toutefois limités. L’enveloppe ne peut pas couvrir plus de la moitié des dépenses de conservation, pour un montant maximal de 250 000 $ par projet.

Le Programme national de partage des frais pour les lieux patrimoniaux est accessible aux institutions publiques et aux compagnies de chemins de fer quand elles sont encore propriétaires des lieux. L’an dernier, aucune candidature n’a été déposée à l’échelle du pays.

Que ce soit dans le public ou le privé, la rénovation est rarement une priorité, déplore l'historien Claude Martel, président de l'Institut de recherche sur l'histoire des chemins de fer au Québec. Il reproche aux différentes institutions de se renvoyer la balle et de se décharger de leurs responsabilités.

« Il faut qu'on arrête de penser en silos et il faut qu'on se dise : "C’est notre bien commun. Quelle vocation optimale peut-on lui donner? Quel budget peut-on trouver collectivement?" »

— Une citation de   Claude Martel, historien, spécialiste du monde ferroviaire

Le transport ferroviaire relevant du fédéral, le gouvernement provincial n’a pas de mandat direct pour s’occuper de la destinée des gares décrépites.

Une des solutions, soutient-il, serait que les municipalités fassent inscrire systématiquement les gares dans le Registre du patrimoine culturel du Québec, qui relève du ministère de la Culture et des Communications. Cette méthode multiplierait les chances d’obtenir un financement.

Il pense que cette stratégie pourrait aussi stimuler une réflexion en profondeur afin de trouver une nouvelle vocation pour ces biens emblématiques de nos localités.

Imaginez dans l'histoire du Québec si on avait détruit toutes les églises parce qu'elles n’étaient plus aux normes, à quoi ressembleraient nos villages aujourd'hui?, s’indigne Claude Martel.

Près du quart des gares dégradées

Le maire de L'Épiphanie, Steve Plante, et le président de l'Institut de recherche sur l'histoire des chemins de fer au Québec, Claude Martel, posent devant les ruines de la gare. Claude Martel tient à la main une maquette de la gare qu'il a fabriquée lui-même.
Le maire de L'Épiphanie, Steve Plante, et le président de l'Institut de recherche sur l'histoire des chemins de fer au Québec, Claude Martel, qui tient une maquette de la gare qu'il a fabriquée lui-même. Photo : Radio-Canada / René Saint-Louis

Selon son estimation, environ 25 % des gares patrimoniales du Québec se trouvent dans un piteux état et nécessitent une intervention dans les meilleurs délais.

Ces gares sont partiellement exploitées, voire à l'abandon, par exemple à Westmount, Trois-Rivières ou Calumet.

Si rien n'est fait, M. Martel anticipe un destin tragique, comme celui de l’ancienne gare de Masson-Angers, dans l'Outaouais, qui a été totalement démolie après que le toit s'est effondré en 2021.

Quelques semaines plus tard, c’était au tour de la gare de L'Épiphanie, en proie au vandalisme depuis longtemps, puis détruite par un incendie accidentel.

C’est une perte importante pour le patrimoine ferroviaire, à double titre. D’abord, parce qu’il n’y a presque plus de gare historique dans Lanaudière. Ensuite, parce qu’il s’agissait de la dernière gare au pays construite selon le plan numéro 9 du Canadien Pacifique. Le CP avait 21 modèles standards, en fonction de l’importance de la ville.

La gare de Mont-Laurier en sursis

La gare de Mont-Laurier
La gare de Mont-Laurier, dans les Laurentides, était le terminus du P'tit train du nord  Photo : Source: Collection de l’Institut de recherche sur l’histoire des chemins de fer au Québec

La gare Mont-Laurier a été conçue selon le plan numéro 10, réservé aux villes de taille moyenne. Il y en avait des centaines à l'échelle du Canada, mais aujourd'hui, on les compte sur les doigts de la main, il faut les préserver, s'alarme l’historien.

La MRC d’Antoine-Labelle se charge de la gestion du bâtiment ,qui appartient au gouvernement du Québec. Au début de l'année, les élus ont annoncé leur intention de le détruire pour laisser place à un nouvel édifice évoquant le passé ferroviaire du site qui était le terminus du populaire P’tit train du Nord.

Comme à Shawinigan, le statu quo a fait grimper la facture pour d'éventuelles rénovations et la MRC ne veut pas prendre en charge de telles dépenses. M. Martel juge un tel projet totalement aberrant, même s’il va en coûter deux fois plus cher de rénover le bâtiment existant plutôt que d'en bâtir un neuf.

Il n’est pas le seul de cet avis, puisque la levée de boucliers d’une cinquantaine de citoyens a renvoyé les élus à leur table à dessin. La MRC a finalement commandé un cinquième rapport en quatre ans pour statuer sur l'avenir de l’ancienne gare du CP. L'option privilégiée est maintenant de conserver seulement la partie la plus ancienne datant de 1909.

Des exemples vertueux

L'ancienne gare de Saint-Bruno-de-Montarville.
L'ancienne gare de Saint-Bruno-de-Montarville est aujourd'hui un centre communautaire  Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

À Saint-Bruno-de-Montarville, la mobilisation citoyenne a porté fruit, raconte Gaétan Boulet, ancien employé de la ville pendant 38 ans au service de la culture et des loisirs.

Ici, le train passe encore devant l'ancienne gare, mais il ne s'arrête plus depuis longtemps. Le fier édifice se trouve pourtant en très bon état.

Quand le Canadien National a abandonné sa liaison ferroviaire en 1988, une pétition a circulé pour forcer les élus à conserver la gare. 6000 signatures ont été recueillies.

Après négociations, le CN a cédé son édifice pour 1 $ symbolique. La gare a ensuite été déplacée de quelques centaines de mètres, en 1991, avant d'être rénovée pour moins de 400 000 $. À l’époque, la municipalité a pris sur elle de financer le chantier en contractant des emprunts.

C’est aujourd’hui un centre communautaire qui accueille 12 000 personnes par an, précise M. Boulet; je pense que la population en est très fière et en fait un usage de façon très régulière.

Gaétan Boulet.
Gaétan Boulet montre un téléphone d'aiguilleur de train qui a été conservé dans l'ancienne gare Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Dans les années 1980 et 1990, le transport ferroviaire de passagers a connu un déclin important. Depuis, plusieurs villes ont pris les devants et ont fait l’exercice de trouver une nouvelle vocation pour leurs vieilles gares, qui sont devenues, tour à tour, des espaces communautaires, des bureaux de tourisme ou des commerces. C’est le cas de gares à Hudson, Granby, Rivière-Rouge, Joliette ou Lachute, dont le plan est identique à la gare du CP à Shawinigan.

Quelques exemples parmi d’autres et, selon l'historien Claude Martel, l’un des plus remarquables demeure celui de Lyster, dans le Centre-du-Québec.

La petite municipalité a des moyens limités, mais cela ne l’a pas empêchée de prendre en main les rénovations. L'ancienne station accueille désormais un café-étape sur la piste cyclable qui suit le tracé de la défunte voie ferrée. Une configuration que l’on retrouve d’ailleurs dans différentes régions. Par exemple, le P’tit train du Nord, circuit cyclable sur lequel on peut admirer la charmante gare de Piémont, reconstruite selon les plans de l'époque.

C'est le cas aussi à Granby, où les anciennes installations du CN ont été transformées en commerces et en bureau touristique. Les cyclistes peuvent emprunter le tracé du chemin de fer qui longeait en partie la rivière Yamaska.

La valeur patrimoniale des gares

La gare de Saint-Bruno-de-Montarville
La gare de Saint-Bruno-de-Montarville lorsqu'elle était encore en fonction Photo : Source: Collection de l’Institut de recherche sur l’histoire des chemins de fer au Québec

La plupart des gares québécoises ont été conçues à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Nombre d’entre elles sont inspirées du courant architectural Arts and Crafts (Arts et Métiers), rappelle Claude Martel, qui intègre des éléments rappelant la campagne britannique.

Un mouvement qui a pris racine à l’époque victorienne, dont le style architectural est réputé pour ses ornementations très, très garnies.

On a des plans, on a des photos en quantité, alors on pourrait très facilement restaurer et sans avoir des frais trop élevés, soutient l’historien, qui rêve d’une stratégie pour les gares à l’image des deux programmes québécois instaurés pour préserver le patrimoine religieux. En 2023, Québec a investi 35 M$ dans 123 projets.

Un document réalisé par Radio-Canada Info

Partager la page